CHAPITRE 5

 

Dans sa jeunesse, Nicolas avait passé des semaines entièrement seul à jeûner dans les montagnes, en attendant qu’une vision l’éclaire sur ses dons particuliers. Son grand-père, originaire de la tribu des Lakota, lui disait de s’armer de patience, et Nicolas avait suivi ses recommandations à la lettre, mais il n’était jamais parvenu à interpréter son rêve récurrent. La prophétie lui était apparue alors qu’il titubait de fatigue, qu’il était malade ou blessé, mais elle ne lui était jamais venue dans son sommeil. Elle n’avait ni queue ni tête, n’offrait aucune prise tangible… Elle le frustrait et lui donnait l’impression d’être médiocre, incapable d’atteindre le potentiel que son grand-père avait « vu » en lui.

Dans son rêve, il entendait le battement régulier d’un tambour. Il sentait la fumée des feux sacrés. Un tipi s’ouvrait à lui et l’attendait. Il connaissait les paroles des incantations de guérison, et les récitait, assis aux côtés d’un homme dont la poitrine portait une grande blessure. Il passait ses paumes sur la plaie et sentait le souffle froid de la mort contre sa peau.

De petites mains recouvraient alors les siennes. Les réchauffaient du souffle de la vie. Les doigts fins tenaient un objet qu’il ne pouvait voir, mais qu’il savait important. Sa voix s’élevait pour prononcer la prière de la vie. Il adressait un chant aux esprits pour leur demander de l’aider à guérir l’atroce blessure. Il sentait ensuite l’objet dans sa paume, un objet qui semblait emmagasiner la chaleur d’une source extérieure pour la lui transmettre. Il voyait des flammes rouge orangé danser à travers ses doigts. L’objet disparaissait toujours avant qu’il ait eu le temps de l’identifier. Il plaçait une nouvelle fois ses paumes directement sur la plaie béante. Les petites mains se glissaient sur les siennes. Une nuée de papillons prenait alors son envol, et leurs ailes semblaient lui frôler le ventre au contact de la peau. Son chant s’élevait avec la fumée et montait vers le ciel. Sous leurs mains jointes, tout autour de la plaie, les flammes exécutaient un ballet, et la blessure se refermait lentement jusqu’à ce qu’il n’en reste plus la moindre trace.

Il essayait de distinguer qui l’avait aidé lors de la cérémonie, mais n’arrivait jamais à percer la fumée. Jamais il ne voyait qui il guérissait. Il sentait la caresse des petites mains sur sa peau nue. Il baissait les yeux et voyait une masse de cheveux noirs effleurer son ventre, luisants comme des brins de soie, le chatouillant et jouant avec lui jusqu’à ce que son corps se raidisse, en proie à un désir impérieux.

Nicolas fronça les sourcils et tendit la main vers elle, bien décidé cette fois-ci à lever le voile sur son identité. Il enfonça les doigts dans l’abondante chevelure. Il se réveilla instantanément, conscient que ses poings se trouvaient serrés dans les cheveux de Dahlia et que son corps était dur comme un roc. La tête de la jeune femme était posée sur son ventre et elle s’agitait, en proie à un cauchemar. Il contint un douloureux grognement de frustration. S’il la réveillait, elle serait gênée. S’il la laissait dormir, son cauchemar et son malaise ne feraient qu’empirer. Il resta immobile, les mains dans ses cheveux, et la respiration de la jeune femme changea tout à coup. Il comprit aussitôt qu’elle ne dormait plus.

Dahlia se réveilla dans le noir, haletante de peur. Elle sortait d’un cauchemar familier qui ne s’effaçait jamais complètement. Il s’agissait de silhouettes sombres qui l’observaient. Sans cesse. Elle avait besoin de vastes espaces dégagés où elle pouvait respirer et, au sanatorium, montait souvent sur le toit. Elle se tint parfaitement immobile, écoutant la respiration régulière de Nicolas. Elle savait pourtant qu’il ne dormait pas. Il était allongé dans l’obscurité, et avait certainement été réveillé par le mouvement de son corps, par sa tension, par l’accélération de sa respiration. Elle était certaine qu’il était à ce point sensible à ses réactions. Et qu’elle l’était aux siennes.

Elle comprit alors qu’elle était blottie contre lui. L’une de ses jambes était posée nonchalamment entre ses cuisses et sa tête reposait sur son abdomen. Elle s’écarta de lui et sentit ses cheveux glisser entre les doigts de Nicolas. Elle garda le silence, incapable de la moindre pensée cohérente. Elle aurait voulu s’excuser mais ne savait pas comment. Finalement, elle choisit la solution de facilité. Mal à l’aise, elle se glissa hors du matelas de mousse, en prenant bien soin de ne pas le toucher. Il ne restait plus qu’une heure avant l’aube. Elle connaissait les bruits nocturnes du bayou. Elle veillait souvent jusqu’après minuit, et savait à quels moments les insectes, les oiseaux ou les grenouilles chantaient leurs sérénades.

Nicolas ne bougea pas, mais elle savait qu’il avait les yeux ouverts et qu’il la regardait marcher pieds nus sur le plancher et ouvrir la porte. Elle sentait l’intensité dévorante de son regard. Elle prit immédiatement conscience de la minceur du tissu de la chemise qu’elle portait. Elle descendait jusqu’à ses genoux, mais Dahlia ne portait rien en dessous. Son corps était chaud et douloureux et lui paraissait complètement étranger. L’air frais de la nuit l’enveloppa tout entière. Elle espérait que son visage n’était pas aussi rouge qu’elle le craignait.

Dahlia grimpa sur le toit avec une aisance née de plusieurs années de pratique. Rares étaient les activités physiques qui lui causaient des difficultés. Elle s’assit en rabattant les pans de la chemise sous ses cuisses et regarda les nuages flotter au-dessus de sa tête. Elle avait passé tant de nuits à observer les étoiles et à espérer pouvoir saisir les nuages qui couraient sur le ciel. La pluie s’était arrêtée quelques heures auparavant. Elle aimait le bruit de la pluie. C’était pour elle comme le rythme régulier d’une berceuse qui l’aidait parfois à s’endormir. Le toit était humide, et le bayou, frais et tonifiant, semblait avoir été nettoyé par l’orage.

Elle refusait de s’appesantir sur le fait qu’elle s’était réveillée tout contre lui. Cela s’était produit, et elle ne pouvait pas revenir dessus, pas plus qu’elle ne pouvait changer ce que Whitney lui avait fait.

— Lily.

Elle murmura doucement ce prénom. Celui de son amie secrète et imaginaire. C’était en partie grâce à Lily qu’elle n’avait pas perdu la raison, et pourtant on lui avait dit qu’elle n’existait pas. Qu’elle n’avait jamais existé. Qu’elle n’était qu’un produit de son imagination. Milly s’occupait de Dahlia depuis aussi loin que remontaient ses souvenirs. Puisque Lily était bien réelle, Milly avait forcément dû la connaître. Ce n’était pas grand-chose, mais c’était une trahison. Dahlia considérait Milly comme un membre de sa famille, comme une mère. Si elle ne pouvait croire en ce que Milly lui avait dit, alors en qui pouvait-elle avoir confiance ? En quoi ?

— J’aurais dû te chercher, Lily. Et Flamme, et toutes les autres. Je n’aurais jamais dû rester ici, dans ma prison dorée, ni croire ce qu’ils me racontaient tous. Je me suis vraiment demandé si je n’étais pas folle. (Elle regarda loin au-dessus de l’eau, et sa vision se troubla.) J’aurais dû être là pour les empêcher de tuer Milly et Bernadette. Elles n’avaient fait de mal à personne de toute leur vie. Ça n’a aucun sens.

Elle n’entendit pas la porte s’ouvrir puis se refermer. Elle ne perçut même pas le moindre bruit lorsque Nicolas grimpa sur le toit, mais elle sentit sa présence dès qu’il arriva derrière elle. Elle laissa sa tête posée sur ses genoux tandis que Nicolas avançait avec précaution pour se placer à côté d’elle en évitant les fentes du toit.

— J’étais en retard, déclara-t-elle tristement. J’aurais dû être là.

Nicolas regarda Dahlia se frotter le visage contre le col de la chemise qu’elle portait. Sa chemise. Elle la couvrait complètement. Il s’installa près d’elle. Assez près pour que leurs cuisses se touchent. Il sentait les vagues de chagrin émaner d’elle et l’envelopper tout entière.

— C’est ce retard qui vous a sauvé la vie, Dahlia. Ils étaient venus pour vous éliminer. C’était une équipe de tueurs.

— Peut-être que oui. Peut-être que non. Mais ils sont venus tuer Milly et Bernadette et détruire ma maison. (Elle le regarda.) Pourquoi ? Après tout ce temps, pourquoi auraient-ils décidé de faire cela ? Vous ne trouvez pas que c’est un peu gros pour être une coïncidence ?

Les yeux de la jeune femme brillaient de larmes contenues. Nicolas sentit une griffe lui déchirer les entrailles.

— J’y ai pensé tout de suite. À mon avis, il est plus que probable que Lily a fourré son nez là où il ne fallait pas, et que cela a mis la puce à l’oreille de quelqu’un. Elle a hérité de tout. La paperasse est énorme. Elle a découvert le fonds d’investissement du sanatorium au beau milieu d’un charabia technique que seul un juriste aurait pu déchiffrer.

— Est-elle heureuse ?

— Elle semble très heureuse. Elle a épousé l’un de mes amis. Ryland Miller. Ils ne se quittent pour ainsi dire jamais.

— Tant mieux. (Elle leva les yeux sur les nuages en mouvement.) Il fallait bien que l’une d’entre nous s’en sorte sans dommage. Je suis contente que ce soit Lily.

— Ne désespérez pas, Dahlia. Il existe des solutions pour minimiser les effets de ce que Whitney vous a infligé.

Elle tourna la tête pour le regarder.

— S’il existe des solutions pour m’aider, alors pourquoi m’a-t-on isolée du reste du monde ? Pourquoi ai-je été élevée seule dans ce qui était virtuellement une prison ? J’étais libre de partir, on n’arrêtait pas de me le répéter, mais c’était impossible, car au bout du compte la maison était le seul endroit où mon esprit trouvait le repos face à la surcharge émotionnelle. Et désormais, elle a disparu.

Nicolas se sentait mal à l’aise. Si elle avait eu besoin de lui pour abattre quelqu’un, il aurait pu répondre présent, mais tenter de la consoler était une autre paire de manches. Il n’aimait pas se sentir hésitant ; ce n’était pas dans sa nature. Il ne pouvait tout de même pas se contenter de lui tapoter la tête, comme à un petit chien. Il passa un bras autour de ses épaules et l’attira contre lui. Elle semblait si fragile qu’il avait peur de la briser en mille morceaux. Elle se raidit immédiatement mais ne tenta pas de se dégager.

— Votre maison a peut-être disparu, Dahlia, mais il vous reste les GhostWalkers. Pas seulement Lily, mais toute une famille composée de personnes telles que vous. Nous nous en sortirons ensemble.

Dahlia garda le visage détourné. Elle percevait les efforts que faisait Nicolas pour l’aider, et trouvait cela très touchant. C’était d’ailleurs la seule raison pour laquelle elle ne s’écartait pas de lui. Elle savait qu’il essayait de la réconforter, mais restait terrifiée à l’idée de se retrouver au milieu de gens qu’elle ne connaissait pas, dans une maison inconnue. Dahlia avait toujours vécu une existence à part. Le sanatorium et le bayou formaient son seul univers. Elle ravala son chagrin et sa peur.

— Je vole des choses.

— Vous faites quoi ?

Le ton incrédule de Nicolas lui donna envie de sourire.

— Voler est-il pire que tuer ? Je pensais que les deux se valaient.

— Vous m’avez surpris, voilà tout.

Il ne broncha pas face à la franchise avec laquelle elle le qualifiait de tueur, mais cela le dérangea… lui qui ne se souciait pourtant jamais de l’opinion des gens. Il avait son propre code moral, un code d’honneur très strict. Les paroles de Dahlia n’auraient dû avoir aucune importance… mais ce n’était pas le cas. Elle ne l’accusait pourtant pas, pas plus qu’elle ne le jugeait. C’était une simple constatation, et c’était peut-être cela qui l’agaçait. Le fait qu’elle accepte aussi facilement ce qu’il était. Comme s’il n’était rien d’autre que cela. Jusqu’à la fin de ses jours.

— C’est pourtant ce que je fais. Je récupère des choses. Cette description vous paraît plus acceptable ? Des données volées. Je pénètre dans des locaux et je récupère des données dans des compagnies privées, ou même dans des petites entreprises ou chez des particuliers qui ont pris des choses qui ne leur appartenaient pas.

— Pour qui travaillez-vous ?

— Vous pensez que, depuis tout ce temps, je travaille contre le gouvernement et pas pour lui ?

Elle tourna la tête et le regarda d’en-dessous ses cils d’une incroyable longueur.

— C’est possible, répondit-il.

Il essayait de décrypter la voix de la jeune femme, mais elle était à peu près neutre. Elle se fermait complètement à lui, ce qui l’empêchait de lire dans ses pensées.

— S’il s’agit d’une branche dissidente, on n’a pas d’infos sur le sujet. Et Jesse ? Que disait-il là-dessus ? Il était forcément en contact direct avec eux.

— Ses ordres provenaient toujours d’une personne appartenant à l’armée. Jesse était membre des Navy SEALs. Il n’aurait jamais trahi son pays, quelles que soient les circonstances. C’est un patriote pur et dur.

— S’il faisait partie des Navy SEALs, nous trouverons facilement des renseignements sur lui. Je sais que ses capacités psychiques ont été amplifiées, mais il ne faisait pas partie de notre unité d’entraînement. Selon Lily, Whitney aurait procédé à l’expérience tout d’abord sur des orphelines, puis sur nous et sur d’autres personnes. Elle tente de retrouver la trace des petites filles. Bien entendu, ce sont aujourd’hui des femmes, et elle cherche des informations confirmant le fait que Whitney a bien choisi d’autres cobayes que nous.

— Ce serait logique, non ? (Dahlia regarda ses pieds nus et nettoya une petite tache sur l’un de ses ongles.) S’il croyait tellement en ce qu’il faisait, ce qui semble évident, aurait-il réellement laissé passer tant d’années avant de recommencer ? Il a forcément reconduit l’expérience sur d’autres personnes.

Nicolas écoutait les bruits du bayou. Des grenouilles s’interpellaient. Chaque groupe coassait à qui mieux mieux pour attirer les femelles. Les grenouilles les plus proches de la cabane, particulièrement sonores, émettaient une étrange musique dissonante. Soudain, le groupe qui se trouvait vers la bande de terre menant au canal se tut.

Nicolas plaqua immédiatement la main sur la bouche de Dahlia et la tira en arrière de l’autre côté du toit. Il se coucha à plat ventre pour ne pas se faire repérer. Dahlia ne résista pas. Les bruits du marais lui étaient familiers et elle avait tout de suite compris que quelque chose avait dérangé les grenouilles. Nicolas approcha la bouche de son oreille.

— Je vais vous faire descendre jusqu’à la fenêtre, et vous entrerez dans la cabane. Je ne vous laisserai pas tomber. Vous me tendrez mon fusil. Le sac est prêt, prenez vos vêtements et tenez-vous prête à partir.

Dahlia hocha la tête et se mit à descendre lentement la pente du toit. Les battements de son cœur résonnaient très fort à ses oreilles. Le bois écorchait ses cuisses dénudées, et sa chemise se releva tandis qu’elle glissait en direction de la fenêtre. Elle essaya de ne pas penser à ses fesses nues exposées au regard de Nicolas. Il avait certainement des choses plus pressantes en tête, mais elle se sentit tout de même rougir au moment où elle parvint à entrer dans la cabane. Le fusil se trouvait sur la table, à côté du sac. Rien ne trahissait leur bref séjour dans le cabanon, à part ses vêtements éparpillés sur le sol. Elle passa le fusil à Nicolas par la fenêtre en prenant soin de ne faire aucun bruit. Son jean était humide et inconfortable, mais elle l’enfila tout de même. Il n’était pas question qu’elle barbote dans le bayou à moitié nue avec seulement la chemise de Nicolas sur le dos. Elle renonça en revanche à ses sous-vêtements mouillés et les fourra dans le sac. Elle ramassa ensuite le ceinturon. Il était lourd, et le sac encore plus. Dahlia les fit passer par la fenêtre mais se pencha tellement pour les poser silencieusement à terre qu’elle manqua de tomber la tête la première. Elle se rattrapa au rebord et fit des efforts désespérés pour se redresser.

Nicolas la saisit par la chemise et la hissa à côté de lui avant même que le poids du sac ait eu le temps de la déséquilibrer. Dahlia ferma les yeux, terrassée par l’humiliation. Elle était habituellement très douée pour les prouesses physiques, mais jusqu’ici elle était surtout passée pour une gourde incompétente. Les femmes devenaient-elles impuissantes dès qu’un homme était présent ? Si c’était le cas, elle préférait sa solitude.

Nicolas atteignit le faîte du toit sans le moindre bruit, le fusil calé contre son épaule et l’œil dans le viseur. Dahlia se croyait silencieuse dans son travail, mais Nicolas était réellement impressionnant, non seulement par l’absence de bruit, mais aussi par sa manière de se déplacer. Il semblait fluide comme l’eau, si discret qu’il était impossible qu’il attire l’attention. Ses gestes étaient assurés, son expression toujours aussi calme, et sa respiration lente ne trahissait pas la moindre animosité. Ce fut alors qu’elle comprit ce à quoi elle était en train d’assister. Une fois le fusil entre les mains et l’œil contre le viseur, Nicolas Trevane se métamorphosait. Il n’était plus complètement humain, pas non plus une machine, mais un hybride des deux. Il se fermait aux émotions, et son cerveau et son corps se mettaient à fonctionner à une allure très rapide.

Si l’énergie qui émanait de lui était si faible, c’était parce qu’il accomplissait son travail sans la moindre colère. Il coupait toutes les émotions. Ce n’était pas un acte de violence, mais une chose bien plus profonde. Dahlia faisait de son mieux pour comprendre. Pour elle, le contrôle de l’énergie était crucial. La violence générait toujours de l’énergie. Même un simple accès de colère entraînait des vagues agressives qui la rendaient toujours malade. Mais aucune de ces émotions ne semblait venir troubler Nicolas. Il ne connaissait pas la peur. Dahlia n’en captait pas la moindre onde. Il attendait calmement, son cœur et ses poumons fonctionnant avec régularité.

Dahlia perçut le moment où Nicolas repéra l’assassin qui était à leurs trousses. Elle était à ce point concentrée sur lui qu’elle parvenait presque à lire dans ses pensées. La respiration de Nicolas ne s’affola pas, mais il passa le doigt le long de la gâchette, la caressant comme pour vérifier qu’elle était bien à sa place. Le mouvement, lent et mesuré, la fascinait. Elle l’observait attentivement, mais fut pourtant surprise de le voir appuyer sur la détente, puis glisser immédiatement du toit. Il tendit la main, attrapa l’arrière de sa chemise et l’entraîna avec lui.

Il la fit descendre jusqu’au niveau du sol et lui signala de courir en direction du bateau. Elle lui obéit, se baissa et fonça à travers le marais en suivant le chemin. Le bateau était arrimé à un cyprès. Dahlia pénétra dans l’eau pour le préparer. Elle ne put empêcher son cœur d’accélérer lorsqu’elle vit Nicolas sortir des fourrés. Il ressemblait à un guerrier des temps anciens, grand, fort et féroce. Sans hésiter, il entra lui aussi dans l’eau pour pousser le bateau dans le canal où les roseaux étaient les plus hauts et camoufleraient le mieux leur fuite.

Dahlia s’attendait à ce qu’une violente bouffée d’énergie la submerge. Elle se raidit même pour l’encaisser, mais ne sentit rien d’autre que l’air du matin tandis que Nicolas s’emparait des rames et commençait à manœuvrer la barque à longs mouvements fluides.

— Vous l’avez manqué, dit-elle.

Cela lui semblait pourtant impossible. Il était si sûr de lui qu’il lui paraissait presque invincible.

— J’ai touché ce que je visais, répondit-il calmement. Nous devons avancer. J’espère les avoir ralentis, mais nous ne devons pas compter dessus.

De ses bras puissants, il força les rames à pénétrer plus profondément dans l’eau, et la barque fendit la surface en direction du canal principal.

— Je n’ai rien senti, dit-elle.

Nicolas regarda furtivement le visage de Dahlia, une étrange petite caresse qu’elle ressentit jusqu’aux orteils, comme s’il l’avait touchée avec ses doigts.

— Ce n’est pas vous que je visais.

Elle entraperçut l’éclair blanc de ses dents dans ce qui avait peut-être été un bref sourire. Elle y répondit en levant un sourcil noir.

— On ne vous a jamais dit que votre sens de l’humour laissait à désirer ?

— On ne m’avait encore jamais accusé d’avoir le sens de l’humour. Décidément, vous semblez tenir à m’insulter. D’abord vous me dites j’ai manqué ma cible, et ensuite vous essayez de me faire croire que j’ai le sens de l’humour.

Son visage était froid comme de la pierre, et son ton dénué de la moindre expression. Ses yeux étaient durs et glacés, mais Dahlia sentit qu’il riait. Ce n’était pas grand-chose, mais c’était bien là, entre eux, et un peu de la terrible pression qui lui comprimait la poitrine fut levé.

— Oui, et je vous répète qu’il laisse à désirer, répéta-t-elle. Faites un effort.

Elle parvint même à lui sourire brièvement à son tour.

La barque glissait en silence dans l’eau. Après avoir traversé un labyrinthe de canaux, ils aboutirent à un bras d’eau dégagé. Nicolas mit immédiatement le moteur en marche.

— Vous connaissez la région mieux que moi. Faites en sorte que nous n’approchions ni de votre île, ni de la cabane. Si possible, notre itinéraire doit nous permettre de nous camoufler. Ils ont certainement truffé la zone de guetteurs. Nous ne savons pas s’ils sont bien équipés ou pas, mais, si nous entendons un hélicoptère ou un petit avion, je crois qu’il serait plus sage de les éviter.

— Je vole peut-être des choses pour eux, reconnut Dahlia, mais j’ai passé toute ma vie dans un sanatorium. Même si tout cela éclatait au grand jour, quel mal pourrais-je leur faire ? On me prendrait pour une folle. Et le pire, c’est que je ne pourrais jamais entrer dans un tribunal et supporter la proximité de tous ces gens sans m’effondrer. Cette histoire n’a ni queue ni tête. (Elle riva ses yeux noirs sur lui.) Et vous, vous y comprenez quelque chose ?

— J’y réfléchis, répondit-il doucement.

Elle secoua la tête, exaspérée par son calme imperturbable, et se concentra pour guider l’embarcation lancée à vitesse maximale.

Nicolas la regarda. Elle était frêle, mais parfaitement proportionnée. Plus il la fréquentait, plus elle lui semblait être une femme, et non plus l’enfant qu’il avait vue en elle au départ. Cela commençait d’ailleurs à poser problème. Il voulait tout mettre en œuvre pour leur garder la vie sauve, pas se laisser aller à la fascination qu’exerçait sur lui la chemise mouillée et quasi transparente qu’elle portait. Ses seins étaient petits, mais magnifiques, et il ne pouvait en détacher les yeux. Il distinguait les contours sombres de ses tétons à travers le tissu mouillé. Elle avait noué les pans de la chemise autour de la taille de son jean, ce qui ne faisait que souligner la courbure de ses hanches et lui rappeler le bref mais inoubliable souvenir de son derrière nu lorsqu’elle avait glissé en bas du toit. Il était bien forcé d’admettre que cette vision fugitive l’avait distrait, et qu’il pensait beaucoup trop à cette portion de son anatomie, ce qui n’était pas l’attitude la plus intelligente à adopter dans leur situation.

Nicolas ne pouvait s’empêcher de la regarder. Elle avait la tête rejetée en arrière, ses épais cheveux noirs volaient au vent et son corps conservait un équilibre parfait tandis qu’elle pilotait le bateau. Avec sa tête dans cette position, il pouvait voir son cou et le contour de son corps sous sa chemise, presque comme si elle ne portait rien. Nicolas sentit son corps se durcir sous l’effet de l’excitation. Il ne se fatigua pas à lutter contre cette réaction. Il ne savait pas ce qui se passait entre eux, mais leur affinité était évidente et n’allait certainement pas disparaître. Il pouvait rester tranquillement assis et admirer la perfection de sa peau. Imaginer sa douceur au contact de ses doigts, de sa paume…

Tout à coup, Dahlia tourna la tête et le toisa de ses yeux ardents. Farouches. Méfiants.

— Arrêtez de me toucher les seins.

Elle souleva le menton tout en rougissant légèrement. Il leva les mains pour clamer son innocence.

— Je ne vois pas du tout de quoi vous parlez.

— Si, vous le savez parfaitement !

Les seins de Dahlia étaient douloureux, gonflés et brûlants, et tout au fond d’elle, un appétit vorace se mit à gronder. Nicolas était assis en face d’elle, aussi immobile qu’une statue, les traits neutres et les yeux calmes, mais elle sentait ses mains sur son corps. Ses longues caresses, ses paumes enserrant ses seins, ses pouces lui frôlant les tétons jusqu’à la faire frissonner d’excitation et de désir.

— Oh, ça.

— Oui, ça.

Elle ne pouvait s’empêcher de deviner l’érection qui tendait la toile de son jean, et qu’il ne faisait d’ailleurs aucun effort pour cacher. Cet étalage impudique exacerba les réactions de la jeune femme, qui sentit un fourmillement là où aucune sensation de ce genre n’avait lieu d’être. Elle serra les dents.

— Je sens toujours que vous me touchez.

Nicolas hocha la tête d’un air pensif.

— Je clame haut et fort mon innocence, dit-il. Je garde toujours mon self-control. D’ailleurs, je suis très fier de mon autodiscipline. Mais il semblerait que vous l’ayez démolie. Pour toujours.

Il n’exagérait pas vraiment. Il ne pouvait détourner les yeux ou l’esprit de son corps. C’était un plaisir inattendu, un don du ciel.

Il la dévorait des yeux. De l’esprit. Une partie de la jeune femme, la partie la plus folle de son être – et Dahlia commençait à croire qu’elle en possédait réellement une – adorait la manière dont il la regardait. Jamais elle n’avait été au centre des attentions d’un homme, pas d’une manière aussi sexuelle en tout cas. Et il ne s’agissait pas de n’importe quel homme. Il était… extraordinaire.

— Eh bien, arrêtez quand même, dit-elle, entre gêne et plaisir.

— Je ne vois pas en quoi mes fantasmes peuvent vous déranger.

— Je les perçois. Je crois que vous les projetez un petit peu trop fort.

Nicolas haussa les sourcils.

— Vous voulez dire que vous sentez mes pensées ? Mes mains sur votre corps ? Je croyais que vous lisiez dans mon esprit.

— Je vous ai dit que je sentais que vous me touchiez.

— C’est incroyable. Cela vous est-il déjà arrivé ?

— Non, et il vaudrait mieux que cela ne se reproduise pas. Nous ne nous connaissons même pas, pour l’amour de Dieu !

— Nous avons partagé le même lit la nuit dernière, fit-il remarquer. Vous couchez souvent avec des inconnus ?

Il la taquinait, mais cette question fit naître une angoisse dans son cœur. Un sentiment sauvage et dangereux s’éveilla au plus profond de lui.

Dahlia leva abruptement les yeux vers le soldat.

— Qu’y a-t-il ? Qu’est-ce qui ne va pas ? (Elle regarda rapidement autour d’eux.) Vous voulez que je coupe le moteur ?

Nicolas se redressa un peu. Elle était à ce point à son diapason que même cet éclair de jalousie ne lui avait pas échappé.

— Non, tout va bien.

Mais il n’en était pas si sûr. Il commençait à s’inquiéter de cette incessante perception mutuelle. Nicolas n’avait jamais ressenti la colère ou la jalousie. Il avait si bien réglé son esprit qu’il parvenait à filtrer ces sentiments, mais Dahlia réussissait à réduire en miettes toute une vie de conditionnement.

— Dites-moi ce qui ne va pas. Je sais que je ne suis pas franchement normale, mais je suis adulte, et même si j’ai passé toute ma vie dans un sanatorium et que j’ai été élevée par une nounou, je ne suis pas complètement folle. Je veux que vous me traitiez comme une égale.

Nicolas étudia son expression. Les yeux noirs de la jeune femme lançaient des flammes dans sa direction. Peut-être tout le problème était-il là. Elle faisait fondre la glace qui, de l’avis général, coulait dans ses veines.

— Dès que j’aurai trouvé, vous serez la première à le savoir. Je n’ai pas l’impression de vous avoir traitée comme une enfant ou comme une aliénée, ni comme une subalterne. Et ce que vous pensez n’a aucune importance à mes yeux, si vous voulez la vérité. Je fais ce que bon me semble, et ne me soucie pas le moins du monde de votre opinion.

Ses mots le surprirent encore plus qu’elle. Lui dévoilait-il la vérité sans fard, ou cherchait-il à la blesser ? Nicolas se frotta la mâchoire avec le poignet. Affronter la mort était infiniment plus simple que parler à une femme.

— Eh bien, tant mieux, parce que je suis exactement comme cela moi aussi. Au moins, nous sommes sur la même longueur d’ondes.

Elle détourna la tête, le nez levé, ce qui lui donnait un peu l’air d’une princesse détrempée.

Le soleil qui montait dans le ciel les éclairait par-derrière. Le regard de Nicolas dériva à nouveau vers ses seins, tendus contre le fin tissu de sa chemise bleu pâle. Il commençait à adorer cette chemise. Il se passa la langue sur les dents, regrettant de ne pouvoir le faire sur les tétons de Dahlia.

Cette dernière poussa une sorte de sifflement excédé. Elle ralentit le bateau et se tourna vivement vers lui, des éclairs dans les yeux.

— Mais qu’est-ce qu’une paire de seins peut bien avoir de si fascinant ? Si je vous les montre, vous arrêterez ?

Elle posa les mains sur les boutons de sa chemise, comme si elle avait vraiment l’intention de les arracher. Son visage était coloré et sa respiration saccadée.

— J’ai entendu dire que les hommes pensaient au sexe toutes les trois minutes, mais vous devez être en train d’établir un record.

— Il ne s’agit pas de n’importe quels seins, Dahlia.

Il tendit le bras vers la gourde. Sa main tremblait. Réellement. La seule pensée qu’elle pouvait ouvrir sa chemise lui envoya une douleur lancinante dans tout le corps.

— Bon, j’en ai, d’accord ? Comme toutes les femmes. Ils sont là. Je n’y peux rien.

Nicolas but une longue gorgée d’eau et manqua de s’étouffer en la voyant déboutonner rageusement la chemise et l’ouvrir grand jusqu’à la taille. Ses seins étaient plus pleins qu’il l’avait imaginé, et pointaient en avant, comme pour le tenter encore plus. Elle était très belle. Sa peau était d’une perfection époustouflante. Nicolas déglutit avec difficulté.

— Je ne crois pas que ce soit une bonne idée.

Dahlia ne se rendit pas tout de suite compte qu’elle venait de commettre une grave erreur. La glace des yeux noirs de Nicolas laissa place à une fièvre brûlante. Il serra si fort la gourde qu’il y laissa de petites marques. L’énergie jaillissait entre eux, sauvage et passionnée, se nourrissant de Nicolas comme de Dahlia, menaçant de les engloutir tous les deux. Elle sentit aussitôt une chaleur l’envahir. Ses vêtements lui parurent lourds, encombrants, et son épiderme trop sensible. Elle avait envie d’arracher sa chemise, de sentir les mains et la bouche de Nicolas glisser sur sa peau. Elle avait envie de choses dont elle n’avait jamais rêvé… qu’elle n’avait pas même envisagées. Auxquelles elle n’aurait jamais cru penser un jour.

Ils se jetèrent l’un sur l’autre. Nicolas pressa son torse nu contre la pointe de ses seins. Il enfonça les mains dans la masse soyeuse des cheveux de Dahlia et la tint immobile tandis qu’il se penchait sur elle, le regard aussi brûlant et intense que l’énergie qui les entourait et les maintenait prisonniers comme dans un cercle de flammes. Il attira sa tête près de la sienne. Il colla sa bouche à celle de la jeune femme et en prit possession. Des flammes jaillirent de Dahlia et se déchaînèrent entre eux. Le baiser sembla durer éternellement, mais il ne suffisait pas. Il ne suffirait jamais.

Nicolas glissa la langue dans la bouche de la jeune femme et entama un long et sensuel tango. Il la dévora implacablement. Impatiente et sauvage. La nuque de Dahlia épousait parfaitement sa paume et il la maintint tout contre lui, lui embrassant la bouche, le menton, le cou avant de revenir à ses lèvres. Les rugissements qui faisaient rage dans la tête du soldat s’amplifièrent encore. Son corps se durcit et se tendit, au point qu’il eut l’impression que ses vêtements allaient se déchirer. Il lui fallait absolument la posséder. La faire sienne.

Il était attiré par sa peau veloutée. Jamais il n’avait rien touché d’aussi doux. Il ne pouvait plus penser ou réfléchir, avec la langue de Dahlia enroulée autour de la sienne, ses dents qui lui mordillaient la lèvre et le menton, son souffle qui pénétrait dans ses poumons. Il goûta à nouveau son cou et remonta jusqu’à sa gorge. Il perçut son halètement lorsqu’il lui lécha le téton. Il entendit sa suffocation lorsqu’il prit son sein dans sa bouche. Elle n’émit qu’un seul son inarticulé, mais tendit les bras pour lui enserrer la tête.

Il se régalait d’elle et la dévorait. Au plus profond de lui-même, il sentait qu’il en voulait plus. Il avait de plus en plus chaud et semblait sur le point de s’enflammer. Ce fut d’ailleurs le cas, quelque part dans son ventre ; un incendie furieux, une explosion qu’il ne pouvait pas contrôler. Il tira sur le nœud de la chemise de Dahlia, rendu fou par le besoin de la toucher, de l’avoir tout entière.

Dahlia sentit la bouche du soldat se détacher de son sein et sa langue lui lécher la peau et lui effleurer les terminaisons nerveuses. Nicolas posa ses mains sur le nœud qui maintenait la chemise fermée à sa taille. Dahlia avait la tête qui lui tournait, étourdie par la passion dévorante, la faim insatiable. La chaleur et la pression étaient telles que le désir qu’elle éprouvait pour lui était presque insupportable. Elle inspira profondément, ferma les yeux et le repoussa vigoureusement. Elle se retourna ensuite puis plongea dans l’eau et s’éloigna de la barque. C’était le seul moyen qu’elle avait trouvé pour les sauver l’un et l’autre. Il n’avait aucune idée de ce qui le consumait, mais Dahlia, elle, le savait. Elle avait connu cela toute sa vie.

Elle s’enfonça dans les profondeurs du bayou et laissa l’eau lui rafraîchir la peau. Elle n’avait jamais envisagé qu’une telle chose puisse lui arriver. Jamais elle n’avait éprouvé d’attirance physique pour quelqu’un. Certainement pas pour Jesse, qui n’était pas non plus attiré par elle. Elle n’avait pas été préparée à la réaction explosive de son contact avec Nicolas, et avait multiplié les erreurs. Elle lui avait rendu son baiser. Elle ne s’était pas contentée de l’embrasser, elle s’était pratiquement jetée sur lui comme une affamée. L’idée de le regarder de nouveau en face lui semblait au-dessus de ses forces.

Dahlia refit surface assez loin de la barque. Faisant du surplace, elle tenta de refermer à la hâte les boutons de sa chemise. Elle était encore si sensible que le simple fait de frôler sa propre peau l’emplit de frissons. Elle ne voulait même pas réfléchir à ce que Nicolas devait ressentir en ce moment. La barque se dirigeait vers elle, et il semblait pour le moins contrarié. Elle lui fit signe de s’éloigner.

— Non. Va-t’en d’ici, Nicolas. Prends le bateau et va-t’en.

Elle faisait tout son possible pour l’épargner, mais la sévérité de son visage lui disait clairement qu’il n’avait aucune envie d’être sauvé.

Nicolas stoppa la barque à côté d’elle. Il n’y avait plus le moindre soupçon de glace dans ses yeux, mais plutôt une colère déchaînée.

— Monte, dit-il d’une voix dure.

— Ne t’approche pas de moi. Tu crois que ça va s’arrêter ?

Elle frappa la surface d’un geste furieux et l’aspergea d’eau. Il ne broncha même pas lorsque les gouttes lui inondèrent la tête et le torse avant de disparaître sous la ceinture de son jean. Dahlia plongea la tête sous l’eau, sous le prétexte de se plaquer les cheveux en arrière. Elle profita de ce court instant pour écarter de son esprit l’image du chemin qu’allaient suivre les gouttes. De leur destination finale, quelque part nous son jean, entre ses cuisses et son nombril. Elle ressortit la tête de l’eau, le cœur battant la chamade.

— Je connais bien le bayou. Je m’en sortirai. Prends le bateau et va-t’en d’ici.

— Bon Dieu, Dahlia, c’est la dernière fois que je te le demande. Monte dans cette foutue barque. Je ne suis pas un violeur. Nous avions la même idée en tête, tu ressentais la même chose que moi.

Elle perçut alors la honte qu’il éprouvait de s’être ainsi laissé aller. Sa crainte de l’avoir effrayée. Sa frustration sexuelle qui devait être aussi intense, si ce n’est plus, que la sienne. Elle tendit la main vers le bord de la barque et s’y agrippa si fort que ses jointures blanchirent.

— Nicolas, cela ne venait ni de toi ni de moi. Pas comme tu le penses. Je suis très sensible à toutes les sortes d’énergies. Y compris l’énergie sexuelle. Tu avais perdu toute contenance. Tout comme moi. Nous alimentions tous les deux l’énergie, et elle menaçait de nous engloutir. Nous ne devons pas rester ensemble. C’est un risque que nous ne pouvons pas prendre.

Nicolas la regardait, immobile. Il avait envie de la hisser dans le bateau et de souder sa bouche à la sienne. De faire fusionner leurs corps. Il était en manque d’elle, comme d’une drogue. Il se força à respirer. Inspiration, expiration. Il pouvait lire le désespoir dans les yeux de Dahlia, sa peur. Pas de lui, mais pour lui. Le nœud dans son estomac commença à se détendre. Sans lui laisser le temps de protester, ou même de réfléchir, il la saisit par ses petits poignets et la tira hors de l’eau.

— Nous sommes adultes, non ? Maintenant que nous savons que cela peut se produire, nous serons plus prudents. (Il parvint à lui adresser un petit sourire furtif et taquin.) Jusqu’à ce que nous n’ayons plus envie d’être prudents.

Dahlia déglutit péniblement. Elle avait du courage, il ne pouvait pas lui ôter cela. Le respect qu’elle lui inspirait augmentait chaque minute qu’il passait en sa compagnie. Elle n’eut pas de mouvement de recul et tint bon. Ils étaient debout tous les deux, et elle dut se tordre le cou pour le regarder dans les yeux.

— Cela pourrait se produire, Nicolas. Tu n’as jamais vu de quoi l’énergie pure est capable, contrairement à moi. Lorsque cela arrive, je génère de la chaleur et déclenche des incendies. Il peut y avoir des blessés.

— As-tu déjà fait l’amour, Dahlia ?

Nicolas parla d’une voix si sourde qu’elle dut tendre l’oreille pour saisir ses mots. Elle sentait un danger sinistre et mortel émaner de lui.

— Non. Jamais je n’ai voulu être aussi proche de quelqu’un.

— Jusqu’à aujourd’hui.

Il voulait l’entendre le dire. Elle pouvait au moins lui faire ce plaisir. Il en avait besoin.

— Jusqu’à aujourd’hui, admit-elle.

Nicolas recula et se rassit à sa place.

— Merci de ne pas m’avoir poussé dans l’eau. Tu as pourtant dû l’envisager.

— Ne me tresse pas trop de lauriers, répondit-elle en se dirigeant vers le moteur. Si je ne l’ai pas fait, c’est seulement parce que je n’étais pas sûre de réussir à te faire tomber.

Elle lui adressa un rapide sourire avant de se concentrer sur le pilotage du bateau.

Nicolas reporta son attention sur la végétation luxuriante et essaya de ne pas penser au goût et à la douceur de la peau de Dahlia. Il en fit un exercice mental et se vida l’esprit. Il laissa les pensées entrer sans s’y appesantir, puis les fit ressortir rapidement. Il n’était certain que d’une chose : il avait Dahlia dans la peau. Le pourquoi et le comment n’importaient pas. Rien ni personne ne l’avait jamais bouleversé à ce point. Elle comptait pour lui. Ce qu’elle pensait, ce qu’elle ressentait. Et il avait envie d’elle.

Midi approchait lorsque Dahlia ralentit pour longer un embarcadère branlant.

— Terminus. Nous allons devoir prendre un bus ou un taxi pour continuer.

— Il faut que je démonte mon fusil. Nous ne passerons pas inaperçus, dans ces vêtements. Et ta chemise est transparente. Je ne crois pas que je pourrais supporter que tous les types se rincent l’œil à ton passage.

Sans lever les yeux, il sépara les différents éléments de son arme et les enveloppa soigneusement avant de les ranger dans son sac. Il y mit ensuite son ceinturon ainsi que tous les couteaux qu’il ne pouvait pas camoufler sur lui.

Dahlia, le souffle coupé, croisa les bras devant ses seins.

— Tu ne pouvais pas le dire plus tôt ?

— Je ne voulais pas que tu te sentes gênée, répondit-il, en levant rapidement les yeux cette fois-ci.

Elle crut discerner un sourire furtif. Saisissant au vol la chemise qu’il lui lança, elle l’enfila à la hâte.

— La prochaine fois, tu es bon pour un petit bain, lui promit-elle.

Jeux d'esprit
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